Voici l’intégralité de l’entretien que j’ai donné au Monde le 22 février 2019 au sujet de la proposition contre la haine sur Internet que je déposerai en mai. Propos recueillis par Alexandre LEMARIÉ et Mickaël SZADKOWSKI.
Comment endiguer la montée de l’antisémitisme ?
Il faut lutter contre les lieux où prospèrent l’antisémitisme et une parole haineuse décomplexée. Dans cette optique, une proposition de loi sera débattue en mai prochain à l’Assemblée contre les propos haineux, qui se multiplient sur Internet et les réseaux sociaux. Cela concerne l’incitation à la haine, la diffamation ou l’injure, à raison de la race, de la religion, de l’ethnie, du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. L’objectif est que cette loi soit votée avant l’été, et mise en oeuvre à la rentrée.
Est-il nécessaire de renforcer l’arsenal législatif ?
Oui, car il n’est pas adapté aux pratiques actuelles des réseaux sociaux. Notre arsenal législatif repose essentiellement sur la loi de confiance sur l’économique numérique (LCEN), qui date de 2004. Soit avant l’arrivée de Facebook en France. Il est donc nécessaire de modifier des dispositions de cette loi pour rendre plus systématique le recours à la justice, et permettre à cette dernière d’être plus efficace.
Que prévoit concrètement la future loi contre les propos haineux?
Elle comprendra quatre points principaux: l’obligation pour les grosses plates-formes Internet de retirer tous les contenus manifestement illicites, au plus tard vingt-quatre heures à compter du signalement ; un mécanisme de signalement simplifié pour les victimes ; la levée de l’anonymat lorsque ces délits sont commis ; et le blocage définitif des sites qui propagent des contenus haineux.
Quelles seront les plates-formes concernées ?
Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, TikTok ou encore Snapchat pour les contenus publics. Cela concerne toutes les plates-formes créant de la viralité,
qui sont dans la catégorie des «accélérateurs de contenus », avec près de 5 millions de visiteurs en France par mois. L’idée est simple : quand un contenu antisémite peut toucher des dizaines de milliers ou des millions de personnes grâce à l’activité d’un siteWeb, celui-ci sera concerné par la nouvelle réglementation. Pour contraindre une plate-forme à retirer un contenu, nous prévoyons des sanctions financières dissuasives, à hauteur de plusieurs millions d’euros.
Comment faciliter le signalement des contenus haineux?
L’objectif est de simplifier la procédure avec un bouton d’alerte unique pour l’utilisateur, qui serait le même sur tous les sites, avec un logo identifié, en particulier pour les plus jeunes. Les plates-formes ont tout intérêt à adhérer à cette démarche pour restaurer le civisme en ligne.
Cela donnera-t-il plus de responsabilité aux plates-formes pour définir ce qui doit être modéré ou non ?
Elles ont l’obligation de connaître la loi. Celle-ci ne concerne que les contenus « manifestement illicites » : la jurisprudence est assez fournie. S’il faut mettre en place, à côté de la loi, un guide des bonnes pratiques, comme cela existe à l’échelle européenne, je l’encourage fortement. Mais ce n’est pas aux plates-formes de définir ce qui est légal ou non : elles doivent appliquer la loi française.
Comment lever l’anonymat sur le Web ?
Sur Intemet, on est dans un régime de pseudonymat et il ne s’agit pas de revenir sur ce point. En revanche, les plates-formes doivent disposer de tous les moyens pour identifier leurs utilisateurs. Si quelqu’un vous envoie des injures racistes sur Twitter, il faut déposer plainte, faire une requête au tribunal pour obtenir une ordonnance, puis assigner le site pour que l’on puisse vous donner l’identité de votre agresseur. C’est long, coûteux et dissuasif. L’objectif est d’avoir une procédure plus simple et plus rapide, en passant toujours par une autorité judiciaire, avec des sanctions administratives ou pénales plus lourdes envers les plates-formes qui ne coopéreraient pas.
N’y a-t-il pas un risque de contournement de cette future loi?
Ceux qui veulent enfreindre la loi trouveront toujours un moyen de le faire. Mais pour enrayer la propagation des propos haineux, nous devons définir les responsabilités de manière plus précise, les contrôler plus efficacement et les sanctionner plus fermement. En durcissant les sanctions, on oblige les plateformes à renforcer leurs équipes pour modérer les contenus. A l’heure actuelle, les moyens qu’elles mettent en oeuvre pour assurer le civisme sur Internet sont trop faibles.
Nettoyer le Web des contenus haineux n’est-il pas un objectif trop ambitieux?
Il faut atteindre cet objectif. Nous avons une obligation de résultats. L’objectif de cette loi est de poser de nouveaux principes fondateurs. Pour améliorer
notre dispositif et le mettre à jour sur le long terme, nous souhaitons la mise en place d’un observatoire de la haine en ligne : un lieu indépendant où se réuniront chaque année les plates-formes, les fournisseurs d’accès à Internet, le gouvernement et les associations pour mieux œuvrer ensemble.
N’y a-t-il pas un risque d’entraver la liberté d’expression ?
Non puisque les injures racistes, antisémites ou homophobes ne relèvent pas de la liberté d’expression. Ce sont des délits. A un moment, il faut savoir dire et reconnaître les choses. Quand une personne profère une insulte raciste, elle n’exprime pas une idée : c’est un délit. Point
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